Dublin

Pierre angulaire ou pierre d’achoppement?

« C’est un cas-Dublin ». L’expression signifie que cette personne, demandeuse de protection internationale, se trouve enfermée pour être conduite, de force, dans un autre pays européen (de l’Union européenne et de quelques autres pays). Bref, il s’agit d’une version musclée du « nous ne sommes pas compétents ; veuillez vous adresser à un autre guichet ».

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C’est, en effet, ce que fait le règlement Dublin : il détermine le pays compétent pour traiter une demande d’asile. La règle la plus appliquée est celle qui attribue la compétence au ‘pays de première entrée’, le pays, donc, où un migrant est entré pour la première fois dans l’Union européenne. En pratique, il s’agit souvent de l’Italie ou de la Grèce. Des pays qui souffrent de déficits financiers reçoivent ainsi, sans bénéficier d’une aide sérieuse, la mission d’offrir un accueil humain aux demandeurs d’asile. Il n’est donc guère étonnant que cet accueil digne fasse défaut depuis plusieurs années.

De nombreux réfugiés ne connaissent rien de l’Europe. Etant donné que chacun de nous est libre de voyager à travers l’Europe, ils en concluent que cette faculté leur est aussi permise. Grande est donc leur surprise quand, après un contrôle-surprise dans le train ou sur un parking, ils sont conduits vers un centre fermé. Quelques récits illustrent cette situation kafkaïenne.

Une femme célibataire, Hanna, a quitté, voici des années, son pays d’origine à cause de violences domestiques et, passant par le Soudan et la Libye en direction de l’Italie, elle aboutit, via la France, en Belgique. Elle est arrêtée au cours de sa tentative de rejoindre le Royaume-Uni et est enfermée. Après deux mois d’incertitude, la Belgique décide de demander à l’Italie de la prendre en charge. Comme aucune réponse n’est venue d’Italie, Hanna est, après cinq mois de détention dans le centre fermé, renvoyée vers l’Italie au nom de ce qu’on appelle un accord tacite. L’avocat n’interjette aucun appel. Comme il s’agit d’un accord tacite, rien n’est prévu lors de l’arrivée d’Hanna en Italie. Nous avions insisté auprès d’elle pour qu’elle explique immédiatement, dès son arrivée, qu’elle était en demande d’asile, mais elle ne fut pas contrôlée lors de son entrée en Italie. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée de nouveau perdue à l’aéroport, dans une ville étrangère, sans parents, sans amis. Avec l’appui d’une connaissance en Belgique jointe par téléphone, elle a pu, moyennant le débours du peu d’argent qu’elle avait sur elle, se rendre en taxi auprès une association qui vient en aide aux réfugiés vulnérables.
Les pratiques-Dublin ressemblent à un jeu de ping-pong. Ainsi, un Mauritanien, récemment rapatrié vers Milan, se posait la question : « Pourquoi dépensent-ils de l’argent pour moi ? Je reviendrai quand même ». Effectivement, trois jours plus tard, il était de nouveau en Belgique. En Italie en effet personne ne s’est occupé de lui : les demandeurs d’asile vivent à la rue.

Zineb a laissé derrière elle l’Erythrée et ses deux enfants pour tenter sa chance en Norvège. Là, elle a reçu une réponse négative à sa demande d’asile. Elle a voulu alors se rendre au Royaume-Uni via la Belgique, où elle fut arrêtée et enfermée. Après plus de quatre mois de détention, elle fut renvoyée en Norvège. Là-bas, après plus de quatre heures d’interrogatoire, elle fut conduite vers un centre fermé pour être renvoyée vers l’Ethiopie…

Ce système coûte cher ; il est déficient. En trois ans, le nombre de transferts-Dublin a presque doublé, passant de 573 à 1072 par an. Lorsque les personnes refusent de partir, leur rapatriement se passe sous escorte policière. Ce n’est pas la voie à suivre. Mais que faire alors ? Si elle veut être humaine, l’Europe doit cesser cet enfermement inutile des migrants – qualifié comme mesure de renvoi vers l’Etat-membre compétent mais, en réalité, tentative vaine et illégale de décourager la migration. Un système équitable devrait tenir compte des circonstances personnelles que connaissent les demandeurs d’asile (présence de membres de la famille, connaissance de la langue, opportunités d’emploi, etc.) avant de décider de leur répartition sur le sol européen.
Grâce, notamment, aux suggestions politiques du JRS Europe, le Parlement européen a formulé une proposition qui va dans la bonne direction. Dans ce texte, par exemple, le gouvernement prend davantage en compte la situation familiale du migrant.

Cependant, les négociations menées entre le Parlement européen et les Etats-membres ont tourné court puisque les gouvernements, entre autres, de Hongrie et d’Italie, n’ont pas voulu y participer.

Accusez-nous d’idéalisme. Accusez-nous de naïveté. Mais une Europe qui dépense des millions d’euros pour le contrôle de ses frontières et l’enfermement de personnes innocentes peut aussi organiser de manière plus efficiente son système communautaire d’asile.

Griet Demeestere et Dennis Van Vossel
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