Myriadoc 10: rappel de la dignité humaine des migrants en transit

Le Centre Myria, organisme fédéral chargé d’étudier le phénomène migratoire en Belgique et de défendre les droits des migrants a publié au début de cette année 2020 le dixième de ses dossiers (https://www.myria.be/files/Myriadoc_10_migration_de_transit.pdf). Ce Myriadoc 10 consacré à la migration de transit donne en 134 pages un très bon aperçu de la situation des étrangers venant des pays tiers (tiers par rapport aux Etats-membres de l’Union européenne) et séjournant provisoirement dans notre pays dans le but de se rendre au Royaume-Uni. Sans entrer ici dans le détail des chiffres et des procédures, quatre points de ce rapport peuvent retenir notre attention.

Les statistiques : Il est difficile de connaître le nombre de migrants en transit présents dans notre pays, d’abord parce que les migrants eux-mêmes, considérés comme étrangers en séjour illégal sur le territoire, ne tiennent pas à se montrer aux autorités, ensuite parce qu’il est insuffisant d’établir des statistiques, sur la base du nombre de personnes, soit interceptées par la police, soit aidées, d’une façon ou d’une autre, par les organisations non-gouvernementales. Cette ignorance rend difficile la mise en œuvre d’une politique adéquate. Ainsi la tragique découverte, fin octobre 2019, de 39 Vietnamiens morts dans un camion au Royaume-Uni fut certes un drame humain, mais aussi la confirmation de nos lacunes d’information car si nous savions que l’Érythrée, l’Irak et le Soudan forment à eux seuls les trois-quarts des pays d’origine des migrants en transit, le Vietnam était, dans nos chiffres, faiblement représenté. D’où l’appel de Myria à obtenir la convergence des diverses sources d’information pour obtenir un tableau moins flou de cette ‘migration en transit’

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Le migrant en transit : Myria attire l’attention sur la charge politique que représente l’utilisation du concept ‘migrant en transit’, appellation qui pourrait être considérée comme ‘un cri de guerre lancé par l’Union européenne contre les pays dont elle attend qu’ils retiennent chez eux les migrants qu’elle ne tient pas à recevoir chez elle’. C’est que, pour Myria, la priorité doit être donnée à la protection des droits humains de tout migrant, quelle que soit la manière dont on le qualifie ultérieurement. Ce point est d’autant plus pertinent que l’étranger appelé ‘migrant en transit’ ne se trouve pas nécessairement en séjour irrégulier chez nous. Il pourrait se faire, en effet, que cet étranger, persécuté dans son pays (comme on peut l’être dans un des trois pays susmentionnés), soit effectivement un réfugié, protégé donc par la Convention de Genève (1951) qui interdit de le refouler. Sans doute cette qualification de réfugié n’est-elle pas une demande d’asile, mais Myria rappelle opportunément que la reconnaissance du statut de réfugié a valeur déclarative et non attributive. En d’autre termes, la qualification de réfugié est inhérente à l’étranger dès lors qu’il fuit la persécution de son pays. C’est cette qualité-là que reconnaît un pays lorsqu’il accorde à l’étranger le statut de protection internationale, mais elle existait déjà auparavant lorsque ce migrant se trouvait antérieurement ‘en transit’ dans un autre pays.

La protection du migrant : On sait qu’un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté à l’ONU en décembre 2018 (ce Pacte qui nous valut en Belgique une crise gouvernementale, due au retrait de la NVA). De portée non contraignante, représente-t-il un espoir pour les migrants en transit ? On y lit, en tout cas, à l’Objectif 7 que ‘les États signataires s’engagent à anticiper les besoins des migrants en situation vulnérable, qu’ils se trouvent dans un pays de transit ou le pays de destination - en les aidant et protégeant leurs droits humains’. Précisément, à propos de ces droits humains, le dossier Myriadoc 10 rappelle que tous les étrangers sont titulaires des droits fondamentaux dans notre pays (à commencer par le droit au respect de la dignité humaine), quel que soit le statut juridique de leur séjour.

Pourquoi le Royaume-Uni ? Les raisons pour lesquelles un migrant en transit dans notre pays choisit le Royaume-Uni comme destination finale sont diverses. En premier lieu, l’anglais est une langue parlée par des personnes du monde entier. On note aussi l’existence de groupes ethniques ou la présence de famille au Royaume-Uni. Ce pays, comme dans la Bible, est également surnommé terre promise ou pays où coulent le lait et le miel, parfois à tort d’ailleurs, mais les trafiquants jouent sur ces attentes des migrants pour les induire en erreur. D’ailleurs, note encore Myria, une plus grande crédibilité est accordée aux récits de réussite de tel ou tel individu qu’aux informations (décourageantes) provenant des autorités du pays. Ainsi, il y aurait au Royaume-Uni des possibilités d’emploi favorables, des salaires élevés et des bonnes conditions sociales, y compris dans l’accès aux soins de santé, et la détection d’un séjour irrégulier y serait en outre rendue plus difficile. Sur ce dernier point, ajoutons, pour notre part, que la mise en œuvre du Brexit – largement inspiré, rappelons-nous, par le rejet de la libre circulation des personnes en Europe – risque de s’étendre aux ressortissants des pays tiers.

Xavier Dijon SJ
collaborateur scientifique