Pas de frontières entre les migrants

La plupart d’entre eux sont aussi passés par là. Ils ont aussi fait une longue et périlleuse route pour arriver en Belgique ; ils ont aussi fait la file devant l’Office des étrangers pour y demander l’asile ; ils ont aussi essayé de trouver leur chemin dans des procédures compliquées et difficiles à comprendre. Au final, ils n’ont pas obtenu la protection de l’Etat belge ni le droit de rester sur le territoire... et se sont ainsi retrouvés « sans-papiers ».

Graffiti "Solidarité avec les sans-papiers"

Pourquoi ? Parce qu’ils n’entrent pas dans les cases prévues par la législation de la protection internationale ni celle, très restrictive, de la régularisation. Un retour dans leur pays est pourtant impossible, pour de nombreuses raisons, notamment parce qu’ils viennent de régions dévastées par les injustices et la violence et qu’y retourner mettrait leur existence en difficulté, voire en danger.

40% des personnes qui demandent l’asile en Belgique aujourd’hui recevront demain une réponse négative. Certains retourneront dans leur pays, d’autres se retrouveront dans cette situation. Ils se verront alors rangés du côté des « mauvais » migrants, ceux dont on ne veut pas, et seront à ce titre déshumanisés, criminalisés.

Pourtant, les migrants sont loin d’être une menace. Il est clairement démontré par l’OCDE ou le PNUD que l’immigration a un impact légèrement positif sur les grandes variables de l’économie. Le sentiment d’insécurité est moins lié à la présence de migrants qu’aux discours démagogiques qui créent la peur. Enfin, l’apport culturel des migrations s’avère être une composante essentielle de nos sociétés.

La distinction entre « bons réfugiés» et « mauvais migrants » ou sans-papiers est réductrice et fausse, parce que les crises qui chassent hors de chez elles les personnes migrantes sont bien plus complexes que la dichotomie guerre ou pauvreté. Les crises économiques ne sont-elles pas très souvent le résultat de régimes dictatoriaux ou de guerres ? Combien de conflits ne trouvent-ils pas leur source dans des injustices criantes, des inégalités insupportables ?

Cette distinction est en outre dangereuse, parce qu’elle légitime l’atteinte aux droits fondamentaux de centaines de milliers de personnes qui ne se voient pas accorder le droit de séjour, comme on le voit aux frontières de l’Europe, mais aussi quotidiennement en Belgique, dans les centres fermés dont la capacité augmente, dans le travail au noir surexploité, dans nos quartiers où les sans-papiers vivent dans des logements insalubres au prix exorbitant, voire dans des squats.

Alors, à quoi sert ce clivage aussi faux que dangereux ? A créer des boucs émissaires sur qui faire peser tous les maux de notre société. A détourner l’attention de l’opinion publique des vrais problèmes sociaux et politiques. A permettre la création d’une main d’œuvre malléable et extrêmement bon marché.

L’opprobre jeté sur les « migrants économiques » n’a de sens que dans la bouche de ceux que cela arrange : ceux qui tiennent une rhétorique excluante, répondant aux impératifs d’une politique migratoire basée sur une logique sécuritaire et des calculs économiques cyniques.

Les choix politiques qui se posent à la Belgique et à l’Europe en matière d’accueil ne concernent pas uniquement les demandeurs d’asile, mais plus globalement l’ensemble des personnes qui - pour des raisons de déséquilibres mondiaux dont nous sommes tous témoins - sont portés vers notre pays par l’espoir d’une vie sauve et d’un avenir meilleur.

Qu’ils soient coincés aux frontières de l’Europe, privés d’un accueil digne ou exclus du droit de séjour, l’ensemble des migrants partagent - outre le manque cruel de sécurité d’existence - le coût d’une même politique : celle de la fermeture et du déni.
Quand l’Europe et la Belgique sortiront-elles du carcan de la peur, du fantasme de l’invasion et du mythe du migrant dangereux, abuseur ? Quand prendront-elles enfin acte du caractère structurel et profondément humain de la migration ? Quand oseront-elles enfin faire le pas d’une politique juste et ouverte, à la hauteur des valeurs que notre société prétend incarner ?

Le défi qui se pose à la Belgique comme à l’Europe porte sur leur capacité à tenir compte des réalités de la mobilité aujourd’hui, ainsi que des besoins des migrants et de nos sociétés, puis à composer avec cette réalité et à veiller à l’encadrer, dans et pour le respect des droits et de la dignité de tous. A commencer par un véritable élargissement des voies d’accès au séjour légal en Belgique. Ainsi que par la régularisation de tou(te)s ceux et celles qui vivent des situations humanitaires auxquelles la procédure d’asile et les voies actuelles de migration légale n’ont pas pu apporter de réponse. Et par la dépénalisation du séjour illégal.

En participant à l’élan citoyen au parc Maximilien, ces sans-papiers - qui vivent dans le non droit - font en tous cas preuve d’une solidarité exemplaire. Ils exercent déjà cette citoyenneté qu’on leur refuse. Et ils recréent le lien, là où des préjugés dangereux tentent de l’empêcher. Pour ces raisons, les signataires de cette carte blanche proposent d’élargir le combat à l’ensemble des personnes migrantes et invitent chaque citoyen à manifester sa solidarité aussi avec les sans-papiers, pour une Europe véritablement ouverte et solidaire.

Les sans-papiers étaient présents en nombre à la marche citoyenne de ce dimanche 27 septembre, pour l’accueil des réfugiés. Vous pourrez aussi les rencontrer et les soutenir à la manifestation qu’ils organisent à Bruxelles le 25 octobre 2015.

Signataires
ACV-CSC
Bruxelles Laïque
Cap migrants
Caritas International
Centre Social Protestant
CIRÉ
CNCD-11.11.11.
CNE
Collectif Migrations et Luttes Sociales
Coordination des Sans Papiers
CSC Bruxelles-Halle-Vilvoorde
Eglise du Béguinage et sa Communauté
Equipes Populaires
FGTB
Jesuit Refugee Service
Ligue des Droits de l’Homme
Médecins du Monde
MOC
MRAX
PICUM
Pigment
Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés Bruxelles
Point d’Appui
Progress Lawyers Network
Samenlevingsopbouw Brussel
SESO
SOS Migrants